LITERATURE AND READING IN THE TIME OF THE PANDEMIC
R. G. Collingwood, in Principle of Art, presents art as the almost medicinal remedy
against what he calls the
“corruption of consciousness”. Literary art, like every form of art,
conjures our link with beauty and gratuity—what belongs to the order of the gift, and perhaps, grace.
Unlike philosophy, literature engages with capacities that are given, and not
so much acquired: joy and admiration, wonder and contemplation. It pries open
the uncanny territories of grief and sadness, common fears and reliefs; it
rehearses illusions, hopes, or disappointments, and anatomizes love and its
enemies: envy, jealousy, lack of trust and more—unwelcome protagonists on the
prosceniums of our existence, yet material that our dreams, and all-too-real realities, are made of.
The texture
and shape of our multi-faceted
belongings and attachments.
The core components of our emotional, mental, and
psychological landscapes.
The guises of our fictions, and personas of our actual
postures.
All the way to our exiting the stage, as the
Shakespearean image cruelly suggests it…
Literature articulates questions, yet delivers open-ended conclusions.
It proposes an invitation to let go, and surrender.
It whispers an invitation to find relief in the present moment, tutoring us into being
tuned to the value of the minute at hand: one word at a time, one sentence at a
time, and one paragraph at a time.
It teaches us to pay attention to the beauty of
tininess, the significance of the small, and the importance of the detail.
Literature weaves an unexpected and unwonted form of
bond: the solidarity of meaning.
Just like our life makes sense as a whole—yet, that
meaning is made up of single elements—
likewise the beauty of literary language emerges out of the design of individual images, and as part of a collective pattern.
A puzzle.
A mosaic.
A kaleidoscope.
A rainbow.
Literature begets, with and for us, imagined
communities of fellow readers—an antidote to loneliness and solitude.
Reading is an activity conducted in the isolation of
our confinement, yet in solidarity with numerous others. In the greater
communion of humankind.
It shapes a fraternity of dreams and aspirations, the “invisible monasteries” of our musings
and longings; it presides over silent prayers and queries, or quests and
journeys—a world of possibility and a search for infinity.
Literature triggers a form of escape from the outside
world and a way to revisit it by
sketching and building a bridge between the fictional world and the (our) known
reality of it.
It prods us to imagine new worlds, wander into the unknown, and wade in the life’s waters again. We cast
the net wider—if only for an ultimate
time—knowing that the net will come
back full even if we walk away
empty-handed.
Some anchoring in the present, spawning a peculiar,
and singular, attention for the word in sight, and the task at hand. And to
life in its enduring moment, despite
and through feelings of emptiness and loss, warding off specters of uncertainty
and unknowing.
BOOKS AT HOME
A few suggestions
from my archived reports of books read and reviewed for LES ETUDES (French
periodical):
Tout ce bleu (Percival Everett)
De bleu en blues, ce roman, comme la forme
musicale, mêle tribulations humaines individuelles et collectives, répétitions
et leitmotivs, images fortes, poétiques ou crues. La narration, telle l’œuvre
picturale dont la symbolique sous-tend l’intrigue, se construit
autour de trois lignes de fuite, et associe couleurs bleutées sur fond de
rouge : celui du sang versé, qu’il soit innocent ou coupable, et celui qui
coule quand l’enfant qui allait naitre meurt prématurément lors d’une
fausse-couche. Le narrateur est un peintre dont le destin entraine le lecteur
dans le Salvador de 1979 à travers le récit d’une quête pour retrouver un frère
qui devient une chasse à l’homme. Par ailleurs, l’intrigue met en scène une
brève histoire amoureuse dans le Paris un peu cliché de l’imaginaire américain,
interlude dans la vie du narrateur qui essaie de se sentir l’existence et
de l’appréhender à nouveau. Entre les deux, la narration propose des
allers-retours aux Etats-Unis, et campe le cadre familial du narrateur, avec un
tableau qu’il garde jalousement cache et hors de portée des regards, y compris
de ceux de ses proches. Un récit en plusieurs teintes, donc, où les moments de
suspense alternent avec les l’indicible de terreurs et hantises intérieures, et
de drames familiaux. Mais quelle couleur a finalement le secret que le
narrateur découvre finalement tout à la fin, et qui se prolonge par le partage
de cette fameuse peinture occultée jusque-là, telle une toile qui garderait
trace d’une première ébauche, mais présenterait à l’œil quelque chose qui doit
être écouté plutôt que vu ?
Trajectoire (Richard Russo)
Quatre nouvelles, comme quatre portes qui
ouvrent sur des pièces différentes dans la maison de la fiction : rythmes
et environnements à taille variables, tels des points cardinaux—autant de
trajectoires dans le mouvement ébauché au singulier par le titre. La première
nouvelle, « Cavalier », met en scène Janet, professeure en proie
à une crise existentielle, et un étudiant qui plagie : faut-il l’affronter
ou pas—dans le contexte de Thanksgiving
qui incite à rendre grâce et faire preuve de clémence? « Voix »
présente deux frères ennemis, Nate et Julian, et une mère détestée, puis aimée
malgré tout, avec pour toile de fond Venise et un groupe de la Biennale ;
la structure sécrète des sections avec sous-titres pour donner l’effet d’une
polyphonie romanesque. Dans « Intervention », Ray sent que l’hiver
qu’il traverse au sens propre et figuré ne sera pas le dernier : tant
qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, même dans un Maine glacial.
« Milton et Marcus » est le titre d’un scenario de cinéma dont
quelques extraits forment un contre-point aux tribulations de Ryan dans
l’univers hollywoodien; le récit enchâssé joue une geste téméraire et
audacieuse sur la scène de la technique de la nouvelle—ébauchant pour nous la
trajectoire d’un renouvellement générique par-delà le théâtre narratif des
intrigues campées dans cet objet littéraire curieux et inédit.
Par le
vent pleuré (Ron Rash)
Eugene : narrateur enfant, narrateur
adulte. Un « regard en arrière », comme celui du narrateur éponyme du
roman de Thomas Wolfe qui le fascine, un autre « ange exilé ». Entre
les deux, l’abime d’une perte—le meurtre de la jeune fille qu’il a aimée 46 ans
auparavant. Et la pensée lancinante que son propre frère est l’assassin. Tout
commence par l’évocation d’une rivière et d’une sirène, Ligeia, qui, comme dans
le cas d’Ulysse, entraine celui qui tombe sous son charme dans des remous
destructeurs. Récit d’initiation à l’amour et aux plaisirs des paradis
artificiels qui conduisent au mensonge et à des vols. Lorsque, des décennies
plus tard, ressurgissent de l’oubli les ossements de la jeune fille charriés
par les courants, c’est toute l’époque des drogues, des hippies et de
l’opposition à la guerre du Vietnam qui vient hanter un présent incertain et
une vie qu’Eugene résume en deux mots—famille, alcool— à l’instar du narrateur
de Lolita expliquant la mort de sa
mère en un duo lapidaire : « Un pique-nique, la
foudre ». La narration prend corps autour de quelques métaphores
fortes : la pêche et la plongée—dans les eaux et dans un passé qui, si on
le regarde, fige dans le chagrin et le désespoir. La rivière remue souvenirs et
débris d’une vie délitée par l’alcool et habitée par la perte d’une carrière,
d’une famille et d’une vocation. Le style mêle littéral et figuré pour tisser
le fil de destins « par le vent pleurés » selon l’image de Wolfe,
mais avec l’espérance de résurrection que suggère par ailleurs le titre anglais
The Risen.
Swing
Time (Zadie Smith)
L’épigraphe du livre—un proverbe
haoussa « lorsque la musique change, la danse aussi » —propose
une clé d’interprétation: la danse comme motif thématique et narratif. Dans ce
roman d’apprentissage, la danse se présente comme l’image des pas
nécessaires—et souvent difficiles— à découvrir, essayer ou inventer pour mener
à bien la chorégraphie de l’identité dans un entre-deux culturel, géographique,
et racial. Le ballet de l’amitié entre la narratrice et Tracey, que tout sépare
sauf une commune passion pour la danse, traverse l’intrigue à partir de
Londres, la ville où elles grandissent ensemble. Plus tard, la narratrice
devient l’assistante d’Aimée, une chanteuse qu’elle admire, et goutera la joie
de voyager aux Etats-Unis, entrant ainsi dans la danse d’un autre continent au
rythme de l’univers new-yorkais qui devient le sien. Une troisième scène
musicale est évoquée à travers l’évocation du projet caritatif d’Aimée en
Afrique. La vie de la narratrice, c’est aussi une relation conflictuelle avec
sa mère qui est partagée entre famille et activisme politique. Par ailleurs, le
cinéma s’invite dans la danse narrative pour faire évoluer une autre modalité
de l’art comme expression de l’être et de la condition humaine. Swing Time propose finalement une
réflexion sur le métissage et le racisme, et sur la passion qui, envers et
contre tout, nous fait être malgré ou
en dépit de nos faux-pas.
Le petit
paradis (Joyce Carol Oates)
Un univers inhabituel pour une écrivaine dont
l’imaginaire prolifique ne cesse d’étonner et interroger—aux confins d’un futur
aussi probable qu’improbable. La jeune narratrice, Adrienne Strohl, est
l’héroïne d’une histoire qui tient en équilibre entre science fiction et
dystopie. Adrienne est téléportée dans une petite ville en guise de punition
pour avoir voulu trop briller dans ses études, et atterrit dans l’espace-temps
appelé zone 9 en 1959, quatre-vingt ans avant l’époque où elle vivait
auparavant. Adrienne devient Mary Ellen Enright, et doit oublier son passé.
Dans l’Amérique ébauchée par le récit, surveillance et exécutions sommaires
sont les caractéristiques d’un univers où domine la terreur, laissant parfois
surgir quelques notes d’humour liées au fait que les références d’Adrienne sont
en constant décalage avec le monde désuet dans lequel elle vit desormais. Mais
le roman nous ramène à la terreur des états totalitaires, avec
leurs « régimes de vérité » selon l’expression de Michel
Foucauld et leur logique de contrôle et répression de toute forme de
résistance. L’histoire d’amour entre Adrienne et son professeur Ira Wolfman ne
fait que renforcer l’ironie tragique d’un « petit paradis » où le
rêve américain n’est plus qu’un lointain fantasme, et dont la disparition est
la rançon de la corruption qu’il a subi. Le mode emblématique du récit se fait
souvent parabole contemporaine ; une interpellation finale—entre
plaisanterie et imploration—invite le lecteur à pénétrer résolument—mais sans
illusion—dans l’univers virtuel, mais o combien réel, ourdi par Oates dont le
talent de conteuse n’est pas démenti…
Underground
Railroad. (Colson Whitehead)
Le chemin de fer souterrain. Le réseau
clandestin d’aide aux esclaves en fuite. A de multiples reprises, le lecteur
est saisi par le chemin (en effet) parcouru par les personnages à partir de
l’expérience des ténèbres de l’esclavage, à travers l’obscurité de la cruauté
et du désespoir pour déboucher enfin—pour certains—de l’autre coté du tunnel,
vers la liberté. Ce roman passe par plusieurs gares. D’abord celle de l’Histoire
(History) et de l’une de ses pages
les plus sombres : « la fondation illégitime du Sud »
(américain) selon les mots d’Edouard Glissant. Puis celle de l’histoire (story) de quelques personnages
emblématiques qui parlent pour ceux qui n’ont pu le faire : une esclave
(Cora) réussit à s’enfuir, est rattrapée, échappe une nouvelle fois à la
barbarie sudiste pour finalement recouvrer liberté et dignité en atteignant le
nord du pays. Un style puissant et une technique narrative qui, comme les rails
de la voie ferrée, fait coexister des desseins et destins différents mais
orientés vers une même fin : (re)devenir un être humain. Ni plus ni moins.
Analepses et prolepses tracent les contours du labyrinthe d’un pouvoir qui
transforme des êtres humains en « propriété » utilisable, vendable,
échangeable, et jetable. L’auteur démonte les rouages du système de terreur qui
enchaine esclaves et affranchis. Il met en scène les mains invisibles qui
construisent le chemin de fer dans le roc de la montagne et celui—aussi dur—de
l’oppression des planteurs. Il décrit la peur des représailles et la violence
punitive contre quiconque essaie de porter de l’aide aux fugitifs, ou même les
planteurs qui se montrent « trop » cléments envers leurs
esclaves : « Les propriétaires d’esclaves qui refusaient
d’obtempérer—par sentimentalisme, ou au nom d’une conception désuète du droit à
la propriété—étaient pendus haut et courts, tout comme les citoyens au grand
cœur qui cachaient des nègres dans leur grenier, leur sous-sol ou leur cave à
charbon » (218). Enfin, il
propose une exploration de l’enfermement intérieur; ainsi pour Cora,
« Echapper aux limites de la plantation, c’eut été échapper aux principes
fondamentaux de son existence : impossible » (18). Plus tard,
lors de l’épopée de sa fuite, la crainte d’être reprise constitue une autre prison—sort
partagé par tous ceux qui, comme elle, vivent dans l’espérance d’une vie
meilleure mais restent hantés par le retour possible du passé : « Aux
champs, sous terre, ou dans son grenier, l’Amérique restait sa geôlière »
(226) ; « Tous ces gens étaient des prisonniers comme elle, enchaines
à la peur » (235). Le roman propose par ailleurs une réflexion sur la
façon dont l’Histoire s’écrit et est écrite, y compris dans les musées qui la
reconstituent à leur manière : « Personne ne voulait évoquer la
véritable marche du monde. Et personne ne voulait l’entendre. Assurément pas
les monstres blancs qui se pressaient derrière la vitrine à cet instant,
collant leurs mufles gras contre le verre, ricanant et criaillant. La vérité
était une vitrine régulièrement redécorée, manipulée par des noirs invisibles
dès qu’on tournait le dos, aguichante et toujours hors de portée » (155).
Une œuvre magistrale aux accents prophétiques pour décrire les chaines de la
servitude physique et psychologique d’un régime de terreur qui frappe tous ceux
qui tentent de s’opposer à sa logique implacable—celle du Mal. Une économie que
l’on reverra à l’œuvre au 20e siècle. Or, comme le 21e
siècle le découvre déjà, le train sifflera trois fois.
Marie Liénard-Yeterian