La peinture de Caspar David Friedrich (1774-1840) a ceci en commun avec celle de J.M.W. Turner (1775-1851) qu’elle nous place devant l’immensité omniprésente du cosmos, devant lequel l’humain s’efface, oblitéré par de tels espaces.
A l’époque où la vapeur ouvre un rapport nouveau aux distances sur terre our sur mer, ces deux peintres ont explorés, chacun à leur manière, le sublime d’une nature qui soudain déborde totalement l’échelle humaine, semble sortir du cadre.
Leur peinture résonne de ce vertige dans lequel le regard se dissout, se perd, s’absorbe. Elle déploie une métaphysique de l’immense et de l’infini, du paysage vu à travers l’œil humain mais qui n’appartient plus à l’humain, n’appartient à rien d’autre sinon lui-même, et dont nous ne percevons qu’une part infime.
Symbole romantique par excellence de ce moment de changement de focale de l’humanité sur le monde, et première destination touristique connectée par le chemin de fer, la Montagne est le point d’accès le plus immédiat à cette immensité. Face à la Montagne, je m’effondre devant les échelles de temps et d’espace en jeu. Cette masse gigantesque semble immobile, pourtant les forces qui l’ont fait naître continuent de la mettre en mouvement, dans un imperceptible ressac, les montagnes avancent et se diluent, se brisent comme de formidables vagues dans l’infini du temps. La Montagne est un instantané de la démesure, suspendue dans l’époque minuscule de notre présent.
Les sciences et technologies n’ont de cesse de renforcer ce changement de focal initié en Angleterre au XVIIIème siècle, et à mesure que notre regard prend de la distance sur nos existences apparaissent des beautés étranges et inhospitalières, et la solitude de notre univers familier.
Le voyage est immense, et il ne fait que commencer.