Depuis quelques années, le cinéma de science fiction occidental semble bégayer.
Alternant prequel, reboot et cross-over, il revisite les mythes puissants apparus dans la seconde moitié du XXième siècle. Les héros de Marvel, Star Wars, Star Trek, Blade Runner viennent à chaque nouvel épisode hanter une génération qui a de moins en moins en commun avec celle qui les a inventés. Avec Ready Player One, Steven Spielberg érige cet art de la répétition au statut de manifeste, célébrant une pop culture riche et colorée, que s’est pleinement appropriée la génération des années 2045.
Futur antérieur
C’est donc tout naturellement qu’on y retrouve un héros fonçant au volant d’une réplique de la DeLorean de Back to the Future. La trilogie culte de Robert Zemeckis est en effet un symbole de ces films dont le futur est déjà devenu notre passé (Marty McFly chevauche son hoverboard en 2015), sans s’être jamais véritablement réalisé.
Le temps ne semble avoir rien arrangé: trente ans plus tard, le monde de 2045 présenté par Steven Spielberg se plonge avec délectation dans la nostalgie d’un univers virtuel rempli de créatures et de machines issues de la culture geek des années 1980 aux années 2000.
Il faut dire que le réel de Ready Player One ne fait que cruellement souligner l’échec de la société à réaliser les idéaux technologiques des auteurs de science fiction. Sans que l’on ne connaisse beaucoup de détails sur son fonctionnement, on y devine une concentration extrême des richesses et des pouvoirs dans les mains de quelques uns et la toute-puissance du géant technologique 101 qui considère les humains comme des numéros (de la data?), et n’hésite pas à les réduire en esclavage, le tout dans une totale impunité et sans qu’aucun organe de régulation ou une forme de justice n’intervienne jamais.
Le monde de Ready Player one est celui où le futur est derrière soi, ou à côté, si loin qu’il en est devenu inimaginable, qu’il nécessite de revêtir les vêtements usés d’une imagination du siècle précédent pour tenter de se réinventer. Un monde qui menace de basculer, définitivement, entre les mains de 101, symbole d’une technologie cynique motivée uniquement par l’appât du gain et le pouvoir.
Citations
Il reste un espoir, sous la forme d’un univers virtuel, L’Oasis, construit comme un fantasme par un créateur utopique (et qui s’est considérablement enrichi au passage, sans que l’on ne comprenne très bien le business-model de la plateforme). Ce monde virtuel, coloré et vivant, est peuplé par les avatars des joueurs, qui mêlent personnages de jeux vidéos, de films ou de mangas, dans un déferlement de citations qui est l’une des curiosités du film.
Steven Spielberg va bien au-delà du clin d’oeil ou du simple hommage. Dans une sorte de mise en abyme du principe du caméo, il s’empare de l’ensemble de la pop culture de la fin du XXième siècle, à l’immense exception (pour cause de droits non obtenus) de Star Wars, et en fait le matériau de base avec lequel l’ensemble du film est construit. Tout se mélange, tout se connecte, et Ready Player One est un gigantesque palimpseste, une sorte de film univers, qui contient et reconstruit ces lieux communs de nos imaginaires, et pour lequel chaque histoire passée, chaque personnage est une lettre d’un alphabet que l’on peut recombiner à l’infini.
Liberté
Derrière ce formidable élan de recomposition, Ready Player One veut rendre hommage à la pratique de l’Easter Egg, née dans le jeu vidéo, et qui consiste à cacher, dans un programme informatique, un contenu le détournant de son usage habituel, l’ouvrant vers un autre univers. Spielberg connecte cette coutume à la philosophie du hacking et aux idéaux de l’enfance pour en faire une véritable utopie, qui structure l’intrigue (une chasse à l’Easter Egg dans l’Oasis) et donne sa cohérence à l’ensemble du film, lui-même vaste collection d’Easter Eggs.
En faisant de cette pratique qui pourrait paraître anodine ou potache le point de basculement de l’ensemble du monde de Ready Player One, Steven Spielberg nous rappelle que la technologie doit rester ouverte à une part de rêve, de gratuité, d’imaginaire enfantin qui constituaient son essence lorsqu’elle était imaginée par les auteurs de science-fiction plutôt que déployée par des Géants aux intentions troubles sinon clairement néfastes.
C’est cette jouissive liberté que Spielberg déploie au cours des 140 minutes d’un film qui se déroule majoritairement dans l’univers virtuel de l’Oasis. Dans une parfaite cohérence narrative, Ready Player One synthétise les prouesses d’effets visuels inventés par le cinéma dans ses premières heures, et désormais conjointement explorés avec l’industrie du jeu vidéo. Spielberg boucle la boucle, et semble transmettre aux prochains développement de la réalité virtuelle le flambeau de la narration visuelle porté par le cinéma depuis plus de cent ans.
Il laisse à ses successeurs un message et une mythologie sur laquelle bâtir de nouvelles histoires, celle d’une technologie de pointe venant à sa manière participer au tissage de la fragile étoffe des rêves.