VOYAGE A TRAVERS LES PAYSAGES
JOUR 4
« In the new order, there was not so much space left for the Guugu Yimithirr. The farmers resented their burning of grass and chasing the cattle away from the waterholes, so the police were employed to remove the natives form the settler’s land. The Aborigenes reacted with a certain degree of antagonism, and this in turn provoked the settlers to a policy of extermination. Less than a year after Cooktown was founded, the Cooktown Herald explaines in an editorial that ‘when savages are pitted against civlisation, they must go to the wall; it is absolutely necessity for such a state of things, it is absolutely necessary, in order that the onward march of civilisation may not be arrested by the antagonism of the aborigenes’. The threats were not empty, for the ideology was carried out through a policy of ‘dispersion’, shich meant shooting aboriginal camps out of existence. »
Guy Deutscher, Through The Language Glass
Le peuple des Guugu Yimithirr, au hasard d’une rencontre avec James Cook, en 1770, a fait entrer l’un de ses mots dans la plupart des langues mondiales. C’est en effet de cette population Aborigène de l’Est de l’Australie que nous avons appris à nommer un animal présent nulle part ailleurs sur la planète, le Kangourou, (prononcé gangurru en Guugu Yimithirr).
Une étude plus approfondie de la langue Guugu Yimithirr, encore parlée dans les années 1980 par une poignée de vieux survivants aborigènes, en a révélé une caractéristique atypique.
Pour décrire la position d’objet situés autour de nous, nous utilisons généralement un système de coordonnées « égocentriques »: un livre se trouve « devant », « à gauche », « à droite » ou « derrière » un locuteur ou celui auquel on s’adresse. Ces repères sont évidemment relatifs, et ils changent de référence avec le point de focalisation considéré: si je me retourne, le mur « derrière moi » passe « devant ».
Mais la langue Guugu Yimithirr est différente. Elle n’utilise aucun repères égocentriques, et ne connaît ni gauche, ne droite. Elle s’appuie exclusivement sur des coordonnées absolues, basées sur les points cardinaux. Le mur est « au Nord », le livre « au Nord-Est », et ceci quelle que soit la position de l’observateur.
Guy Deutscher utilise cet exemple dans son livre Through The Language Glass pour illustrer l’un des effets que la langue peut avoir sur notre culture, notre personnalité ou notre vision du monde. Dans ce cas précis, la langue impose à ceux qui la parlent de connaître en permanence la direction des points cardinaux, et de mémoriser précisément, dans toutes les situations, l’orientation de tel ou tel objet, bâtiment, arbre, par rapport à ces repères géographiques. Cette particularité linguistique a perpétué chez le peuple Guugu Yimithirr une capacité de mémorisation et d’orientation exceptionnelle, et vitale dans l’environnement qui est le leur.
Through The Language Glass dresse un aperçu d’un splendide paysage de langues, de leurs caractéristiques inédites qui nous rappellent que chaque langage, chaque culture est formidable accident. Toute langue étrangère, plus elle est étrangère, nous confronte avec l’arbitraire de nos propres conceptions, et nous pousse à considérer notre propre familiarité avec un regard distancié. Le patient travail des linguistes et des ethnologues pour nous rendre visible cet immense paysage est vital pour nous permettre de dépasser la triste opposition sauvage/ civilisé qui a contribué à détruire la culture Guuge Yimithirr et exterminer les peuples aborigènes de la plupart des espaces colonisés par les puissances étrangères (majoritairement Européennes) entre les XVIème et le XXème siècles.
Avec les cultures natives d’Australie et de Tasmanie ou les peuples « pré-Colombien » d’Amérique, des pans entiers de ce continent invisible ont d’ores et déjà -et à tout jamais- basculé dans l’oubli. Le paysage culturel humain doit se concevoir dans une richesse et une diversité qui nous déborde pour que nous puissions questionner ses fondements arbitraires et brasser la multitude de ses couleurs.
Derrière les massacres et les déportations, il y a une culture qui refuse de voir l’autre comme un semblable, parce qu’elle refuse de se voir elle-même comme un autre.
Ce paysage de langues, de rites, de croyances, tant que nous le préservons, nous laisse une chance de nous remettre toujours en perspective, dans l’immense mosaïque que nous habitons, dont nous ne formons, avec nos mots et notre grammaire, qu’un minuscule tesson.